Didier Lambert (DL) : Bonjour, je suis Didier Lambert, le fondateur de la Plateforme HubTic, une plateforme de veille et d’information dans le domaine des communications unifiées, de la collaboration et de l’expérience client. Aujourd’hui, j’ai le plaisir de retrouver deux interlocuteurs de chez Zoom : François Familiari (FF), qui est Solution Engineering Manager, et Mathieu Gouot (MG), qui est expert des solutions d’expérience client. Bonjour à vous deux.
FF & MG : Bonjour Didier.
DL : Merci de me rejoindre encore une fois sur cette plateforme vidéo de HubTic. On est là pour parler d’IA aujourd’hui, appliquée aux outils de communication des entreprises. François, pour démarrer, est-ce que tu peux nous dire ce qu’est l’IA chez Zoom, à quoi ça sert, dans les grandes lignes ?
FF : Ce qu’on a effectivement, c’est qu’on a regroupé l’IA sous un terme qui s’appelle « AI Companion », qui est un assistant virtuel d’IA disponible sur l’ensemble des briques. L’IA, comme tu l’as dit, est assez large : il y a différents types d’IA – analytique, conversationnelle, etc., des LLM – et aujourd’hui, suivant le besoin et l’outil qu’on va utiliser, l’IA va être un peu différente.
Mais globalement, l’idée derrière tout ça, c’est d’avoir un assistant. Je vais commencer par exemple ma journée sur la page d’accueil de mon client et je vais pouvoir lui demander quels sont les meetings, les points importants de ma journée, les éléments importants sur lesquels travailler. Puis je vais basculer sur mon onglet téléphonie et je pourrai avoir un résumé de mes derniers messages vocaux et en extraire des tâches. C’est en fait vraiment appliquer le meilleur modèle d’IA par rapport au besoin, au produit, à la tâche qui doit être faite.
DL : D’accord. C’est vrai que dans les échanges que j’ai sur ces sujets-là, on voit bien qu’il n’y a pas une IA mais des IA qui doivent être appelées de manière opportune à chaque moment de la journée. En matière de déploiement, comment gérez-vous ces IA entre ce qui est utilisé en interne au niveau de la plateforme pour faciliter le travail des collaborateurs, comme tu l’as expliqué, et l’IA dans la relation client ? Est-ce que c’est de l’IA purement interne développée en interne, ou est-ce qu’il y a aussi la possibilité d’appeler des IA tierces ?
FF : C’est vrai que c’est un point super important que tu touches là. Aujourd’hui en terme d’IA, Zoom a une approche qu’on appelle « fédérée ». C’est-à-dire que nous avons et continuons à développer notre propre IA, notamment sur certaines choses très concrètes comme la détection des visages dans les salles de réunion, l’IA pour faire du noise cancellation, l’IA pour faire certains résumés. Mais on va appeler aussi d’autres IA, et notre approche fédérée est justement là. Je pense que c’est une force et un différenciant par rapport à d’autres plateformes. On ne va pas s’intégrer avec seulement un LLM mais avec plusieurs, en l’occurrence aujourd’hui on utilise notamment OpenAI d’un côté et Anthropic de l’autre. Suivant l’usage, suivant le scénario, on va aller chercher l’une ou l’autre IA.
Tu évoquais rapidement le fait de customiser ou d’aller chercher des choses à l’extérieur. C’est quelque chose dont on pourra reparler dans les perspectives, mais vous avez effectivement fait des annonces sur ce sujet d’aller potentiellement chercher des sources externes pour nourrir ces IA et pour encore un peu plus customiser leur usage en termes de métier, mais aussi les résultats qu’on peut obtenir.
DL : Je rebondis sur ce que tu viens de dire. Tu parles d’usage et de métier. Est-ce qu’aujourd’hui on a des déclinaisons verticales de l’usage de ces IA en matière d’éducation, en matière de finances ? Est-ce que c’est quelque chose qui est pris en compte dans l’approche de Zoom ou est-ce que finalement on considère que l’IA peut être généraliste ?
FF : C’est pris en compte et ce sont des choses qui arrivent, justement parce que lorsqu’on va parler d’une école d’enseignement supérieur ou d’une société qui fait du retail, on n’aura pas les mêmes besoins, pas les mêmes scénarios. L’IA doit s’adapter à ça, que ce soit en termes purement de scénarios et cas d’usage, mais aussi d’outils qui vont se trouver derrière. On ne va pas faire appel aux mêmes sources de données. Typiquement, ce sont des choses sur lesquelles on travaille pour pouvoir, selon la verticalisation, selon le type d’entreprise, apporter des fonctionnalités d’IA qui sont bien spécifiques.
DL : Si on peut ouvrir un peu le capot, et peut-être pour ça je vais m’adresser à Mathieu. En termes concrets de déploiement, ces IA qui sont nombreuses – l’IA officielle de Zoom d’un côté et puis celles qui éventuellement peuvent répondre à des besoins complémentaires en externe – comment concrètement approche-t-on ça quand on déploie du Zoom au sens large, parce qu’on sait que Zoom c’est bien plus que de la vidéo maintenant ? Comment déploie-t-on une IA ? Quelle est l’approche pour trouver les bons équilibres entre la proposition de valeur de la plateforme Zoom et ce qui éventuellement peut se trouver en dehors ?
MG : Tout va partir de la conversation qu’on va avoir avec le client. Est-ce qu’il a des attentes particulières ? Est-ce qu’il a des contraintes particulières en termes de régulation, en termes de confidentialité des données ? En fonction de ces différentes contraintes et des résultats attendus par le client, on va pouvoir l’orienter sur un modèle ou un autre, et plus particulièrement sur les fonctionnalités associées à l’usage de ce modèle.
Je pense notamment aux entités gouvernementales aux États-Unis : si je dois prendre un exemple, on est capable de limiter l’usage à l’IA Zoom et aucun autre modèle pour justement garder le contrôle de tout ce qui va être échangé. On va voir la même chose ici en Europe où certaines fonctionnalités, si je prends l’exemple du centre de contact, sont disponibles en utilisant des modèles hébergés en Europe et d’autres utilisent des modèles hébergés aux États-Unis. Dans ce cas-là, on est capable de dire : « Ce niveau de fonctionnalité, vous ne pouvez pas y prétendre si vous utilisez le modèle hébergé en Europe, mais vous respectez vos contraintes de localisation des données. »
DL : Pour être sûr d’avoir bien compris, l’IA « maison » Zoom, aujourd’hui un acteur européen peut la faire tourner en étant conforme en matière de souveraineté ?
MG : Oui, en tout cas en termes de souveraineté au sens européen. On est capable d’héberger dans nos data centers européens, assez classiquement en Allemagne et aux Pays-Bas, le modèle d’IA Zoom pour offrir ces services.
DL : Il y a une autre question que je me pose toujours en matière d’IA, ce sont les questions d’interopérabilité de ces IA avec l’existant applicatif présent chez le client. Aujourd’hui, il y a pas mal d’applications – tu parlais de relation client et d’expérience client – notamment tout ce qui touche au CRM qui commencent eux-mêmes à intégrer des briques d’IA, plutôt tournées autour de l’analyse de la conversation, du sentiment analysis. Ce sont aussi des choses que Zoom fait. Comment là aussi équilibre-t-on entre ce qui est déjà en place chez le client et ce que Zoom peut peut-être mieux faire ou faire différemment ?
MG : Il y a différentes écoles, ça va dépendre également de la maturité du client et de sa stratégie concernant l’IA. Nous pensons que l’IA au sein des communications d’entreprise est une pierre angulaire puisque nous sommes vraiment au cœur des conversations. Nous sommes donc idéalement positionnés pour comprendre ce qui est dit, pour en extraire les insights, les tendances, etc., mais aussi et surtout – et c’est un différenciant fort – en temps réel.
C’est là où l’IA Zoom va se distinguer des IA opérées par un CRM ou autre, qui sont plutôt en mode déconnecté. Nous agissons en temps réel. Par exemple, comme tu l’as évoqué, l’analyse de sentiment en temps réel avec la plateforme Zoom va me permettre dans un centre de contact d’alerter un superviseur instantanément sur une conversation qui se passerait mal avec un client. On voit donc des impacts sur les métiers, sur l’organisation, et l’idée est vraiment d’interagir en temps réel pour améliorer l’expérience client, pour avoir ce meilleur taux de résolution au premier contact ou cette meilleure durée d’interaction moyenne pour améliorer la satisfaction.
DL : Je sais que la question est probablement complexe, mais en matière technique, quels sont les grands sujets auxquels il faut faire attention quand on commence à vouloir déployer de l’IA, et notamment l’IA de Zoom ?
MG : J’en vois deux grands. Le premier, c’est l’hallucination des IA ; puisqu’avec certaines IA, on ne maîtrise pas forcément la source de connaissance qu’elles vont utiliser pour générer leur réponse. Et c’est mon deuxième point : avoir la possibilité de contrôler et de savoir sur quel type de données l’IA va travailler pour générer une réponse.
Là, ça devient très intéressant d’avoir une solution comme Zoom puisqu’on va parler d’intégration à un écosystème. En connectant les bases existantes de connaissance de l’entreprise, en les indexant, en faisant travailler l’IA dessus, les processus de machine learning directement sur les bases de connaissances maîtrisées, on va s’affranchir – pas complètement mais déjà en grande majorité – des phénomènes d’hallucination puisqu’on contrôle la source d’information digérée par l’IA. On va exclure tout ce qui est sources fausses provenant du net ou non adaptées dans le contexte, et donc on va mieux maîtriser ce que l’IA va être capable de digérer et d’utiliser pour répondre aux demandes des clients.
DL : Il y a un sujet qui m’intéresse aussi : ces IA sont très impactantes sur le fonctionnement des sociétés, sur les process, sur la productivité. Il y a beaucoup de sociétés qui se font accompagner par des consultants pour déployer ces IA. S’il y avaient quelques conseils ou recommandations qu’un éditeur comme Zoom pouvait proposer aux cabinets de conseil, ca serait lesquels ?
MG : Excellente question. Je pense déjà qu’il faut bien comprendre la maturité et la volonté du client à qui on parle en termes d’usage de l’IA. Donc savoir s’il est prêt à faire les changements qu’implique un usage avancé de l’IA moderne telle qu’on la connaît aujourd’hui.
J’ai par exemple des clients dans le luxe qui ne veulent absolument pas exposer une IA en frontal client. Ils veulent utiliser l’IA en support à l’agent, en support au superviseur, aux employés de l’entreprise, mais certainement pas l’exposer aux clients finaux. Partant de cette compréhension de la maturité du client et de ses attentes, on va pouvoir en extraire l’impact que va avoir l’IA sur les métiers : est-ce que l’IA doit juste être un facilitateur, un outil du quotidien pour améliorer la performance, pour améliorer les process, ou est-ce que l’IA va prendre une part entière de responsabilité dans l’entreprise ?
En fonction de cette réponse, il y aura quoi qu’il en soit un impact sur la rédaction du cahier des charges. L’ampleur de cet impact peut aller très loin dans la transformation des processus métiers, de la modélisation du travail dans l’entreprise, voire même de l’organisation. En fonction de ça, on va pouvoir adapter l’impact sur le cahier des charges. Ça peut très bien être très basiquement parler d’un agent virtuel pour faire du self-service sur mon site web ou sur mon standard téléphonique – donc là, impact relativement mineur, on va juste parler de fonctionnalités – ou aller jusqu’au déploiement d’agents IA où là, on va avoir des impacts métiers beaucoup plus forts.
Tout ça se cherche aussi un petit peu actuellement, et encore une fois, il y a aussi beaucoup d’évangélisation à faire autour de tout ça pour que les clients comprennent bien, qu’ils soient accompagnés par les indépendants et les cabinets conseil, et pour mettre en place une stratégie et derrière choisir la meilleure solution dans le contexte.
DL : Justement, je rebondis sur ce que tu viens de dire. On parle d’évangélisation. Aujourd’hui, de la fenêtre de Zoom, quel est le niveau de maturité des clients finaux vis-à-vis de ces IA ? Est-ce que les entreprises comprennent ce qu’elles peuvent faire, ou y a-t-il un vrai besoin d’évangélisation encore ?
MG : Honnêtement, de plus en plus. Pour certains, ça reste encore très abstrait, donc il y a aussi beaucoup de veille technologique. On a beaucoup de sujets de conversation autour des sujets gravitant autour de l’IA. Et d’autres sont déjà hyper pointus – j’ai des clients avec qui on échange vraiment d’égal à égal, nous en tant qu’experts du domaine, où on a des clients qui ont ce même niveau d’expertise, voire même encore plus puisqu’ils sont en plus agnostiques et ont fait les recherches sur différentes solutions.
Là encore, ça dépend à qui on parle et dans quel secteur d’activité. Ce qu’on constate quand même, c’est que les secteurs d’activité en tension d’un point de vue concurrence ou efficacité financière opérationnelle sont beaucoup plus enclins à avoir des discussions avancées sur l’IA. Pour eux, c’est vraiment identifié comme un vecteur d’optimisation aussi bien des dépenses que de la performance.
DL : Puisqu’on parle de compétitivité, on va parler aussi de retour sur investissement. Est-ce qu’aujourd’hui on est déjà à cette étape de compréhension du ROI, concrètement, ou est-ce qu’on est comme nombreux sont à me le dire aujourd’hui encore dans une phase de test et de POC ?
MG : Là encore, ça va dépendre du type d’IA et de l’usage derrière. Parfois c’est difficile à quantifier, par exemple l’impact de l’IA sur l’Employee Experience. On commence à avoir des tendances, on commence à avoir des chiffres sur lesquels les analystes se mettent d’accord, mais ça reste relativement difficile à quantifier et à mesurer avec précision.
À l’opposé, quand on va parler d’un agent virtuel qu’on va mettre en frontal sur un site web pour un chatbot ou pour un voicebot, là par contre, on a des retours hyper concrets sur l’impact et le retour sur investissement. On va créer ce qu’on appelle des business cases où on parle de métriques qu’on sait mesurer aujourd’hui avec n’importe quelle solution de centre de contact. On va quantifier le nombre de conversations, le temps d’appel moyen, le coût d’un agent à la minute, et derrière on va être capable de faire des prévisions plus ou moins optimistes – en général sur trois niveaux : moyen, pessimiste, optimiste – et comme ça, on en obtient des ROI qui sont systématiquement à trois chiffres.
C’est vraiment sur ces cas d’usage là des choses qui sont très rapidement rentables et efficaces pour l’entreprise. Et je dirais que là où ça évolue au cours des derniers semestres, c’est qu’en plus, ça n’a pas d’impact sur la satisfaction client. Parce que décharger un centre d’appels avec un chatbot ou un SVI, ça fait des années qu’on le fait, mais avec un impact négatif sur la satisfaction client. Aujourd’hui, avec les agents virtuels, on a un impact positif sur la satisfaction client parce qu’on est vraiment capable de répondre à la demande, d’offrir du service, et de vraiment améliorer la relation client.
DL : C’est intéressant de toujours ramener un ROI à un cas d’usage, et certains de ces cas d’usage sont effectivement bien identifiés.
On s’oriente vers la fin de cet entretien. J’aimerais qu’on puisse parler un peu de perspectives, et pour cela je vais me retourner à nouveau vers François. En termes d’évolution, qu’est-ce qui nous attend demain chez Zoom en matière d’IA ?
FF : Alors, en tout cas ce dont on peut parler aujourd’hui et qui a été rendu public, ça va être une customisation plus forte de cette IA et plus contextuelle. J’en parlais un petit peu : on a notamment un produit qu’on a annoncé qui va sortir dans les semaines et mois qui viennent, qui s’appelle Zoom AI Studio.
L’idée derrière ce produit, c’est que notre agent virtuel AI Companion, on va pouvoir le customiser et le mettre dans un contexte qui nous est propre. Typiquement, l’idée c’est de pouvoir le faire pointer vers des bases de connaissances, des sources de données qui nous sont propres au sein de notre entreprise, qui sont plus pertinentes pour notre métier et les activités de l’entreprise.
On va pouvoir aussi, dans le même état d’esprit, ajuster les dictionnaires de mots. Par exemple, lorsque j’ai un résumé d’entretien, de meeting, de conversation téléphonique, d’échanges au sein d’un centre de relation client, il y a peut-être des termes qui sont propres à mon métier – je peux travailler dans le juridique, dans les nouvelles technologies, etc. – et donc enrichir avec un dictionnaire pour que le résumé soit encore plus pertinent. Ça fait partie des choses importantes et ça va dans le sens de ce que je disais d’ajuster notre réponse par rapport à des verticales données.
On va aussi donner la possibilité de créer des modèles qui nous sont propres. Typiquement, aujourd’hui le résumé de réunion est un modèle fourni par Zoom, mais demain peut-être que je veux avoir un modèle un peu différent qui me correspond plus.
Et puis aussi l’ouvrir vers des outils tiers, donner la possibilité d’utiliser notre large language model dans d’autres outils. Quand je dis d’autres outils, ça peut être l’utiliser au sein d’un Microsoft Teams, au sein d’un Google Meet. C’est aussi quelque chose qui nous intéresse et une direction dans laquelle on va aller, ce qui est assez cohérent avec notre notion d’ouverture qu’on a chez Zoom.
La dernière chose, c’est connecter ça à des applications tierces, des CRM tiers, des solutions d’entreprise tierces, des outils qui peuvent être même développés en interne et dans lesquels on va pouvoir s’intégrer et utiliser la puissance de cette IA par rapport à ces différentes briques qu’on peut trouver au sein de l’entreprise.
DL : Parfait. En tout cas, je voulais vous remercier vivement tous les deux pour votre temps. On voit que l’IA est loin d’avoir révélé tous ses secrets, si j’ose formuler les choses ainsi. Merci de nous avoir levé un petit coin du voile. Merci à tous les deux et puis écoutez, bonne fin de journée à vous.